Duel électrique: la Zero SR/F contre l’Energica Eva
Deux motos ayant des batteries au lieu d’un réservoir d’essence, et qui sifflent au lieu de vrombir, et nous les avons testées sur route en ville, à la prise de recharge et sur l’autoroute. Toutes deux offrent des accélérations décoiffantes.
Deux petits constructeurs, deux motos uniques sur le marché de par leur motorisation, leur exclusivité et leurs performances. C’est le duel électrique qui oppose via ActuMoto.ch la Zero SR/F contre l’Energica Eva. Ok, pour que ce comparatif soit vraiment complet, il manque encore la Harley-Davidson LiveWire, qui est le troisième modèle de moto à moteur électrique distribué à large échelle sur les marchés mondial et suisse. Ce sera pour plus tard, car nous avons déjà pu la tester de manière individuelle aux Etats-Unis (lire notre article).
Mais pour l’heure, nous avons profité du fait que tant Zero Motorcycles qu’Energica aient trouvé un représentant en Suisse romande pour aller emprunter un exemplaire de chaque marque chez son concessionnaire respectif, pour quelques jours. Histoire de faire des photos, de tester les mécanismes de recharge, l’autonomie, le confort, etc.
Pour la marque américaine Zero, pionnière depuis 10 ans de la moto électrique, il faut se rendre dans le canton de Neuchâtel, au Landeron, chez M&R Speedshop, qui est aussi un spécialiste de la customisation.
Et pour Energica, une petite entreprise au nord de l’Italie qui s’est fait remarquer en devenant fournisseur officiel des motos du nouveau championnat mondial Moto E, prière de passer chez CP Bike (notre client dans l’annuaire ActuMoto), à Lausanne.
La Zero SR/F est la première moto de Zero qui se départit du look supermotard/enduro de route, et qui vise le créneau « streetfighter ». Ou moto sportive sans carénage. Sauf que Zero n’a aucune sportive carénée dans sa gamme, mais c’est un détail. Son design est étudié avec soin, et fait un rien penser à certaines motos japonaises. Avec le moteur électrique, de couleur dorée-cuivrée, placé bien en vue, juste à la jonction entre la partie centrale du cadre et le bras oscillant qui tient la roue arrière.
Les suspensions font aussi sérieux, et sont entièrement réglables. Et puis, pour la première fois sur une Zero, on a deux disques de frein devant. Et un contrôle de traction qui régule les incartades de la moto quand on lâche les chevaux en accélérant. Et un tableau de bord en couleur…
Oui, mais. Si on tourne le regard du côté de l’Energica, force est de reconnaître que les designers italiens ont un coup d’avance quand il s’agit de faire tourner les têtes. On ne s’attarde pas sur les doubles phares avant, ronds et petits, de chaque côté d’une sorte de mini-bec. C’est spectaculaire, mais tout le monde n’est pas forcé d’aimer.
Le reste de la moto, par contre, respire l’élégance, avec un cadre en treillis d’acier (comme la Zero) de couleur rouge (grisouille sur l’américaine), avec une fourche dorée, et les mots Brembo et Marzocchi bien mis en évidence. La qualité constructive n’est probablement pas meilleure sur la moto italienne, mais elle sait mieux se faire remarquer. On verra plus loin ce qu’il en est pour l’efficacité des suspensions et des freins.
Autre différence que l’on remarque assez vite: les positions de pilotage ne sont pas équivalentes. On est assis plus haut sur l’Energica, avec le buste plus en avant. Normal, c’est une sportive, l’Energica Ego, que l’on a transformé en Streetfighter.
Bien qu’équilibrée, elle est aussi plus délicate à manoeuvrer à très basse vitesse. Et à l’inverse la Zero est une vraie naked classique, un peu lourde, mais aux masses bien centrées, sur laquelle on se positionne de façon plus décontractée, et avec un meilleur rayon de braquage. Mais l’Eva se rattrappe avec une fonction bienvenue sur une moto de plus de 200 kilos: les marches avant et arrière à l’allure d’escargot, justement faites pour les manoeuvres. On avance ainsi, ou on recule, à moins de 5 km/h, par simple pression sur un bouton au guidon. Ca paraît un gadget, mais c’est pratique.
Au passage, on note aussi qu’aucune de nos deux concurrentes n’a de béquille centrale, ni de rapports de vitesses. Ni d’ailleurs de frein à main, qui serait pourtant parfois utile quand on parque la moto en pente. Puisqu’on ne peut pas engager une vitesse pour bloquer la transmission, et donc la moto.
Un aspect pratique distingue la Zero de l’Energica, c’est son coffre là où se trouverait un réservoir d’essence sur une moto « normale ». Coffre verrouillable avec la clé de contact. On peut y glisser le câble de recharge, par exemple, et deux ou trois autres objets, mais pas un casque. L’Energica n’a pas ce genre de commodité.
Mais une moto, c’est fait pour rouler! Et une moto électrique, c’est extrêmement simple, en tout cas pour nos deux protagonistes. On relève la béquiller, on vérifie que le contact est mis grâce aux témoins lumineux, et on tourne la commande d’accélération. Elles ne sont pas silencieuses: chacune émet un petit sifflement, ou une petite modulation sonore, doublée des bruits mécaniques de la chaîne (de la courroie pour la Zero) et du frottement des pneus.
C’est moins intuitif que sur la Harley-Davidson LiveWire, mais il y a quand même un lien entre le degré d’accélération, ou de décélération, et le bruit que l’on perçoit, tant à bord de la moto qu’à l’extérieur. une petite vidéo faite à la va-vite et publiée sur les réseaux sociaux a fait dire à un de nos lecteurs qu’il croyait entendre le bruit du vaisseau spatial Faucon Millénaire de Star Wars au passage de la Zero et de l’Energica. C’est un peu exagéré, pour ce qui est du volume sonore, mais pas inexact pour ce qui est de la nature de la sonorité.
Toutes deux sont livrées avec des modes de pilotage calibrés électroniquement et que l’on peut choisir. Si l’on prend Sport, et que l’on ouvre en grand, ce qui suit sera forcément dantesque, tout spécialement sur la Zero. Quand on sélectionne le mode de pilotage Sport, il s’agit ni plus ni moins de la moto la plus rapide du marché à l’accélération. Point barre. Elle le prouve régulièrement quand elle participe à des courses de ce genre (comme au récent Racer La Côte dans le canton de Vaud, lire notre article).
D’autres machines peuvent délivrer plus de couple, mais pèsent plus. C’est presque aussi impressionnant sur l’Eva, et ça suffit pour anéantir toute compétition au feu vert.
Heureusement, tant l’Eva que la SR/F ont aussi un anti-patinage. Ils interviennent de façon progressive dans les deux cas. S’il n’y avait pas un témoin lumineux pour signaler leur action, et un témoin oculaire pour certifier que la roue arrière était de travers, on ne s’en rendrait même pas compte.
Ce qui est bluffant, c’est la manière dont les « cerveaux » électroniques à l’oeuvre sur ces deux machines régulent la transmission du couple sur la roue arrière en fonction des impulsions du ou de la pilote. Quel que soit le mode de pilotage choisi, si l’on ouvre juste un peu la poignée d’accélération, la moto se met à avancer avec douceur.
Et plus on ouvre la poignée vite et loin, plus le moteur va réagir fort. Si ça ne vous parle pas, comprenez que lorsque vous roulez en ville, il est ultra facile de maintenir une progression régulière mais douce, et que cela n’empêche pas d’avoir de grosses sensations à l’accélération quand on estime pouvoir le faire et que la route se dégage devant. On dit bravo à Energica et à Zero Motorcycles pour la gestion de ce paramètre, qui fait qu’il n’est nul besoin d’avoir plus d’un rapport de vitesses. Et qui fait aussi qu’il n’y a ni levier d’embrayage ni sélecteur au pied à gauche.
On pourrait croire que des rapports de vitesses différents manqueraient à plus haute vitesses, mais il n’en est rien. Sur l’autoroute, on n’aura aucune peine à trouver son rythme, sans que le moteur ni de la SR/F ni de l’Energica vous fasse sentir qu’il tourne trop haut. Les choses seraient peut-être différentes sur un circuit, mais nous n’avons évidemment pas eu l’occasion d’essayer cela, et ces motos ne sont bien sûr pas faites pour.
La protection contre le vent, et les autres éléments, ne fait pas partie des points forts de ces motos. On peut puiser dans le catalogue des accessoires pour installer un pare-brise. Et des poignées chauffantes sur la Zero standard (de série sur la Zero premiun). Ce qui va renchérir le prix d’achat global, déjà élevé: plus de 21000 frs pour l’américaine, plus de 28000 frs pour l’italienne.
Dans le match Zero SR/F contre Energica, c’est plus ou moins l’égalité pour ce qui est des aides électroniques au pilotage. On a des antipatinages, on l’a dit, qui sont configurables, et plusieurs modes de pilotage. On a aussi un ABS efficace en virage.
La SR/F offre plusieurs modes de pilotage personnalisables, dans lesquels on peut régler le degré d’intervention du contrôle de traction (qui peut être égal à zéro), du frein moteur, ainsi que la courbe de couple et de puissance. Sur l’Energica, on peut aussi jouer avec les modes de pilotage, et différentes modalités de freinage régénératif.
Des Cruise Control sont livrés de série dans ce match entre la Zero SR/F contre l’Energica Eva. Ils sont peu pratiques à utiliser, au début, car ils demandent un schéma d’activation très précis. Mais ils sont par contre très utile sur les trajets autoroutiers, qui sont ceux qui font le plus baisser la réserve des batteries de ces deux motos. Nous y reviendrons.
Les deux motos diffèrent également par la manière dont leurs suspensions font interface avec les pneus et la route. C’est un tout qui comprend aussi les géométries dynamiques de ces machines. Les transferts de masse à l’accélération ou au freinage sont très contenus dans les deux cas.
Mais on peut dire que l’Energica, malgré son statut de sportive décarénée, est un poil plus confortable sur des routes bosselées ou en mauvais état. On pourrait probablement ajuster la fourche et l’amortisseur de la SR/F pour corriger son côté un peu trop rigide d’origine.
Et pour ce qui est du freinage, c’est du très solide et du facile à utiliser dans les deux cas. Avec peut-être un petit plus en termes de ressenti sur les freins avant de l’Energica. Mais c’est une nuance, pas une grosse différence.
Zero SR/F contre l’Energica, l’autonomie et la recharge
Nous avons bien sûr testé l’autonomie et les temps de recharge dans ce match opposant la Zero SR/F contre l’Energica. Zero Motorcycles indique une autonomie de 259 km si l’on roule seulement en ville, pour la version standard de la SR/F, et de seulement 132 km si l’on se limite à l’autoroute, avec une vitesse constante de 113 km/h.
En combinant les deux et des routes hors agglomération, on arrive à un peu moins de 200 km d’autonomie, ce qui n’est pas si mal pour ce genre d’engin. Et qui plus, il s’agit d’un chiffre réel, que nous avons pu valider nous-mêmes.
C’est un peu moins qu’un roadster classique à essence avec un réservoir contenant entre 13 et 15 litres d’essence. Ce qui fait que l’on peut envisager des balades et des trajets pendulaires, mais qu’il faudra prévoir une recharge, au moins partielle, si l’on veut faire le tour des Alpes en Suisse.
Les choses s’amélioreront le jour (prochain) où l’on pourra équiper la SR/F d’un PowerTank comme il en existe pour ses soeurs de gamme SR et DSR. Cet accessoire augmente la capacité des batteries, et donc l’autonomie. Il devrait être disponible au début de 2020 pour la SR/F.
Il existe par contre déjà une version Premium de cette moto, plus chère, qui est livrée d’origine avec un chargeur de 6 kW au lieu de 3. Cela a pour conséquence de raccourcir le temps de charge, quelle que soit la prise et le câble choisis. Au lieu d’un peu plus de 4 heures pour un « plein » (charge complète de 0 à 100%), on arrive à environ 2 heures, ce qui est déjà beaucoup plus raisonnable.
La SR/F Premium a aussi d’origine des poignées chauffantes, un petit saute-vent et des embouts de guidon en aluminium, pour le look. Dernier raffinement possible, on peut remplir les deux-tiers du coffre avec un booster de charge, un « ChargeTank », qui ajoute 6 kW, et qui coûte 3290 frs. Cela donne au total 9 kW pour la SR/F standard, 12 pour la Premium. Et dans ce dernier cas de figure, on peut effectuer une recharge complète en une heure. Une pause repas, en gros, sur une prise de type 2. C’est un peu plus lent sur une prise domestique standard, dont l’ampérage est plus limité.
On signale au passage que dans ce choc de la Zero SR/F contre l’Energica Eva, la seconde est plus chère que la SR/F standard sans ChargeTank, mais est livrée avec la possibilité d’utiliser une borne de recharge de type rapide (à courant continu), ce que ne peut pas l’américaine. Il y en a cependant beaucoup moins que des bornes de type 2.
L’Energica Eva déclare des valeurs légèrement inférieures à celles de la Zero pour ce qui est de l’autonomie. La faute principalement à un poids plus important, et à une puissance plus grande, qui atteint au maximum 145 chevaux (contre 110 pour la SR/F).
Notre Eva de test était la version 107 (107 kW). Il existe une version standard dont la puissance ne dépasse pas 80 kW et dont l’autonomie est logiquement plus élevée. Et puis Energica annonce pour 2020 l’arrivée d’une mise à jour appelée Eva Ribelle, qui, pour le même prix (100 frs de moins), diminue encore le temps de recharge et pousse l’autonomie un cran plus loin: jusqu’à 400 km en usage urbain! Nul doute que Zero Motorcycles va adapter son modèle dans les années à venir pour suivre cette évolution.
Ce qui distingue la Zero de sa concurrente italienne est la présence de la connectivité complète, non seulement avec les appareils Bluetooth à portée d’onde, mais aussi à plus grande distance, via le réseau de téléphonie mobile.
On peut ainsi communiquer avec sa moto où que l’on se trouve, pour savoir par exemple où en est la recharge, ou si quelqu’un a tenté de la déplacer. On a aussi accès aux données enregistrées lors de ses « rides »: kilométrage, trajet, angle d’inclinaison, etc.
Mais l’Energica offre une fonction similaire avec une autre technologie: au lieu du GSM et du Bluetooth, on fait appel au Bluetooth… et à un capteur GPS installé dans la moto. Les motos électriques se doivent d’être connectées en toutes situations!
Dans les deux cas, ce match Zero SR/F contre Energica Eva montre que les motos électriques sont presque aussi pratiques que des motos à moteur à essence. Pour des trajets pendulaires, c’est tout à fait faisable, pour peu que l’on ait une borne de recharge près de son travail, ou à la maison. Ou une maison avec un garage possédant une prise de courant. Ce qui n’est en général pas le cas pour les personnes (comprenez, les locataires) habitant en ville.
Le prix de ces deux machines est élevé, surtout pour l’Energica. Mais elle est d’un haut degré de fabrication. La Zero est un rien plus pratique au quotidien, tout en restant un véritable missile dès que la route se dégage. La bonne nouvelle est que l’on a affaire à des parties-cycles qui sont à la hauteur. Le design, visuellement, a bien évolué. Tant la SR/F que l’Eva sont des motos valorisantes et harmonieuses. Zero propose depuis 2021 une variante carénée ou semi-carénée de la SR/F, plus apte au tourisme, la SR/S (lire notre essai).
Et pour ce qui est de l’entretien, il est minime et se limitera aux consommables (freins, pneus, chaîne pour l’Energica). Cela rattrapera quelque peu le prix d’achat, très élevé.
Merci pour ce comparatif fort détaillé et très intéressant.
Je cherche à remplacer mon bmw c evolution pour une moto électrique qui serait plus polyvalente pour les grands trajets et continuer à pouvoir me rendre au travail en toutes saisons protégé par un carénage bien enveloppant. Mais l’offre est inexistante depuis plusieurs années.
Je pense que les constructeurs se trompent de cibles en ne proposant pas de versions carénées de leurs machines car beaucoup de motards ont acheté des C Evolution faute d’offre qualitative en moto. Le carénage n’est pas si cher à produire et permet d’augmenter substantiellement l’autonomie et le confort du pilote sans modifier la taille de la batterie. Reste à incorporer un chargeur entre 11 et 20 kWh et nous aurons enfin un produit sérieux. Le prix de vente est un faux problème pour celui qui roule beaucoup qui récupèrera très vite le fruit de son investissement avec un prix de l’électricité et d’entretien réduit. Aussi créer des modèles électrique typée GT aura l’avantage de placer le prix de ces modèles dans le prix de la catégorie thermique équivalente et de ne moins prêter à la critique. Quand je vois le nombre de RT et de GS en circulation on voit bien que le tarif supérieur à 20k CHF/€ est loin d’effrayer le motard (presque) lambda.
Bonjour Bruno
Votre idée mérite d’être creusée. Je crois savoir que Zeroe va sortir cette année une SR/F carénée. Et Energica a une moto carénée, mais c’est une sportive, pas une GT. A surveiller de près.
Bonne route
Jérôme Ducret, rédacteur responsable