La nouvelle Multistrada V2 de Ducati à l’essai en Toscane
Nous avons eu entre les mains pendant deux journées la toute dernière version de la « petite » (937 cm3!) Multistrada du constructeur italien, dans sa version S dotées des derniers raffinements, et avec le pack touring qui comprend deux valises. Un grand pas a été fait, comme sur le dernier Monster, pour ce qui est de la boîte de vitesses et de l’embrayage, beaucoup plus fluide que sur la Multistrada 950 que cette V2 remplace. Le confort et l’accessibilité ont également été améliorés. Et sinon cette moto est toujours une excellente compagne de voyage.
Pour jauger des aptitudes routières et touristiques de la nouvelle Multistrada V2 de Ducati, nous avons eu droit à un terrain d’exercice de rêve: la Toscane par monts et par vaux, en ce début du mois de novembre. Avec tout un terroir à découvrir, et une végétation qui se pare d’or et de rouge à côté du vert des oliviers et des cyprès. Et bien dix degrés de plus en moyenne que dans notre Helvétie natale, bien atteinte par la chute des températures.
Ducati nous avait concocté un menu de deux jours au guidon de la version S de la moto, équipée d’équipements supplémentaires par rapport à la Multistrada V2 de base. Ce sont les suspensions semi-actives à réglages électroniques, les feux de virage, un quickshifter bidirectionnel, des commodos rétro-éclairés, un régulateur de vitesse ajustable et bien sûr un tableau de bord TFT en couleurs. Et en plus, nous avions le pack Touring, qui consiste en gros en une paire de valises latérales rigides, en une béquille centrale et en des poignées chauffantes.
Par rapport à la Multistrada 950 (et 950 S, lire notre essai du modèle 2019) qu’elle remplace, la nouvelle Multistrada V2 change par de petites touches, avec un embrayage revu, une selle plus basse, plus fine et plus plate pour le ou la pilote, et n’oublions pas un poids global qui pèse bien 7 kilos de moins. Sans toucher à la contenance du réservoir d’essence, qui est toujours de 20 litres. Le gain de légèreté est opéré entre autres choses sur les roues, d’un nouveau concept.
Le design visuel demeure inchangé, et c’est tant mieux. On reconnaît immédiatement la patte Ducati, avec une belle élégance et de la sportivité visuelle à revendre. Mais dès que l’on se met en selle sur une nouvelle Multistrada V2, on remarque que les pieds touchent plus facilement terre. Et pas parce que l’on a réglé la précharge au plus bas! Le soussigné mesure 1m70 et a des jambes pas très longues. Il pose toute la partie avant de ses deux petons sur le sol.
Si c’est encore trop haut, on peut commander la selle basse, qui descend de 830 à 810 mm du sol. Et même demander en option le kit de surbaissement, qui joue sur les suspensions et la béquille, pour arriver à 790 mm! Si on contraire on se sent un peu trop plié, la selle haute, à 850 mm, fait aussi partie des accessoires disponibles.
C’est un gros plus pour un gros trail destiné au voyage et un peu aussi au tout-terrain. Et cela va ouvrir le cercle des personnes potentiellement concernées par ce modèle. Ce d’autant plus que pour la première Ducati va proposer une version bridable à 35 kW de sa « petite » Multistrada. Pour les exigences du permis A limité en Suisse (A2 ailleurs en Europe), qui veulent que l’on passe obligatoirement deux ans avec une machine dont la puissance ne dépasse pas 47,5 chevaux (35 kW). Comma la Multistrada V2 développe 113 chevaux maxi, et que c’est trop légalement pour pouvoir la brider, cela signifie que la version bridable est par contre limitée à 95 chevaux de puissance maximale, lorsqu’on la débride à la fin des deux années de permis A limité. Ce pourquoi Ducati offre un rabais de 1000 francs en Suisse sur tout modèle acheté dans cette catégorie limitée.
Donc la moto, ou en tout cas sa selle, est plus basse. Et les repose-pieds sont positionnés un peu plus bas que précédemment. Pas les suspensions, notez bien, qui gardent le même débattement, 150 mm.
Nous commençons notre journée devant l’un des bâtiments composant la Villa Lena, un hébergement agritouristique situé sur le territoire de la municipalité de Tojano, au milieu de nulle part, et au sommet d’une grosse colline verdoyante parsemée d’oliviers. On charge les valises avec les sacs étanches fournis par Ducati. Parce que nous ne dormirons pas au même endroit à la fin de cette première journée. Et qu’on ne sait jamais, il peut se remettre à pleuvoir.
Mais pour l’heure, le soleil brille. Le bitume est encore un peu (beaucoup, par endroits) mouillé, et froid. Ca tombe bien, nous ne prenons pas la route bien revêtue, mais descendons par l’autre bout de la colline, sur ce qui devient peu à peu une piste de terre et de gravillons. L’occasion de voir ce que vaut la nouvelle Multistrada en conduite debout, et avec le mode de pilotage Enduro sélectionné en deux (en fait, quatre, et il faut relâcher gaz et freins) coups de bouton via le commodo gauche.
La roue avant, toujours de 19 pouces, fait le job et stabilise le tout, tandis que les suspensions hautes absorbent à peu près tout ce qui arrive sous nos roues, sans réaction désagréable. Beppe, notre expérimenté guide (il a participé il y a longtemps au Dakar et c’est le principal instructeur du centre de formation Ducati en tout-terrain) nous a recommandé d’oublier la présence du frein avant, pour ne pas perdre la roue avant. Doté d’un esprit rebelle, l’auteur de ces lignes se hasarde tout de même à tirer le levier, doucement, en ligne droite. Pas de drame, la moto ralentit de manière prévisible, et l’ABS, encore actif sur la roue avant, veille au grain pour éviter le blocage. Mais mieux vaut ne pas trop jouer avec en virage, car le terrain est là aussi encore un peu mouillé, et nos pneus, des Scorpion Trail, ne sont pas faits pour la boue.
A l’arrière, si l’on appuie bien sur la pédale de frein, on arrivera par contre facilement à bloquer la roue, qui n’est plus chaperonnée par le dispositif ABS. Mais le but de notre petit voyage n’est pas de chercher les limites de cette moto dans un rallye en offroad. Nous voici à nouveau sur l’asphalte, avec à présent le mode Touring, qui utilise pleinement l’ABS. Un ABS actif et efficace en virage, tout comme le contrôle de traction. De ce côté-là, rien ne change sur cette nouvelle Multistrada V2.
L’autre gros changement apporté pour 2022 se fait vite sentir. Passer du point mort au premier rapport se fait à présent sans le « klonk » caractéristique jusqu’ici de nombreuses boîtes Ducati acoquinées à un gros moteur V2. Et c’est tout aussi fluide quand on passe la deuxième, la troisième… ou quand on rétrograde. Que ce soit avec l’aide du levier d’embrayage ou en profitant du quickshifter, qui le remplace et fonctionne en montant les rapports comme en les descendant. Pas le moindre faux point mort ou le moindre rapport manqué à déplorer. Ca n’a l’air de rien, mais sur une Ducati de ce genre, c’est un progrès conséquent!
On note juste que le quickshifter peut être un peu rugueux si l’on monte de la première à la deuxième vitesse sans précaution. Ce qui est somme toute un peu inévitable au vu de l’architecture du moteur. En redescendant les rapports, tout baigne, et on peut même parfois le faire sans couper les gaz.
Les suspensions, semi-actives et à réglage électronique, sont performantes. Elles s’adaptent bien aux conditions de conduite et de route changeantes, se rigidifiant au besoin lorsque l’on freine ou que l’on accélère fort, et lorsque l’on passe sur une grosse bosse. On a à la fois le confort et la rigueur, la moto ne s’affaissant ni ne se dandinant. On peut bien sûr changer les réglages de base des suspensions dans tous les modes de pilotage, si on le désire plus rigide, ou plus souple. Il y a assez de marge de manoeuvre pour vraiment personnaliser le réglage, sans renoncer aux atouts de l’amortissement actif.
Et la précharge se règle quant à elle en quelques clics… de bouton sur le commodo gauche. Toute cette sophistication est bienvenue sur les petites routes virevoltantes des crêtes toscanes de cette région, et dont la surface est souvent jonchée de feuilles mortes, de gravier (un peu moins) et de traces d’activités agricoles, viticoles et maraîchères. Surtout associée à des assistances au pilotage très efficaces et peu invasives (à moins qu’on le leur demande), et à des freins au top de la dosabilité et du ressenti.
Puis nous mettons les pneus sur des routes plus droites et plus rapides, et nous pouvons tester la protection aérodynamique des nouvelles Multistrada. Elle est correcte, les turbulences disparaissent presque complètement et beaucoup moins d’air passe sur votre casque et sur vous épaules. On peut déplacer le pare-brise en hauteur, à la main, et même en roulant. Et les carénages avant de la moto ajoutent à la protection latérales contre le vent et, nous le verrons brièvement, contre l’eau.
Au bout d’une bonne centaine de kilomètres pas ennuyants pour un sou, nous arrivons à notre pause touristico-prandiale du jour, l’abbaye – en ruines – de San Galgano. Dont le toit s’est effondré il y a de nombreuses années, et dont les vitraux sont vides, mais qui sinon tient encore bien debout, de tous ses murs. Le sieur qui a donné son patronyme à ce lieu était un chevalier, qui dans un accès de repentance a décidé d’arrêter de trucider ses semblables et de se faire hermite. Il a selon la légende fiché son épée dans une pierre, à la roi Arthur, mais dans l’autre sens. Une épée se trouve de fait bel et bien coincée dans une pierre, au sein de la chapelle sur le haut de la colline qui servait apparemment d’hermitage à l’hermite. La grande abbatiale sans toit plantée dans la pleine abritait quand à elle une communauté de moines cisterciens, qui ont fini par abandonner le navire sous la pression des pillages et des invasions.
Il reste un restaurant et un centre visiteurs, relativement récents. Beppe nous explique qu’étant jeune il lui est arrivé de dérouler son sac de couchage en plein milieu de l’abbatiale, alors absolument déserte, pour dormir à la belle étoile. Aujourd’hui, on paie une entrée. Et on met son masque et on présente son passe sanitaire! Mais l’endroit est toujours magique, et est partiellement colonisé, pour la chapelle, par des chats semi sauvages.
La seconde partie de la journée nous emmène en direction de la côte, avec un arrêt café au centre – historique et bien conservé – de Massa Marittima, dans la province de Grosseto. Contrairement à ce que laisserait supposer le nom, cette localité ne se trouve pas au bord de mer, mais sur une éminence. La vue est en tout cas intéressante. Et la nouvelle Multistrada est parfaitement manoeuvrable dans les ruelles de cette petite ville.
Elle fait par contre un peu de boucan si l’on n’y prend pas garde. Nous sommes officiellement (mesure du bruit dit stationnaire) en dessous du seuil délicat des 95 dB. Ce qui permet par exemple d’aller rouler au Tyrol autrichien. Mais le gros V2 est loin d’être discret, même si dans cette dernière incarnation il produit moins de bruits mécaniques et casse moins les tympans. Le soussigné sait de quoi il parle, il possède un exemplaire de 2018…
L’autre (bon) côté, c’est que la bande-son de cette moto est fun et procure du plaisir, les basses en staccato du V2 et le grondement de l’échappement ayant un petit côté vivant et pulsant, mais pas métallique, fort agréable à l’oreille. Il y a encore quelques pétarades quand on relâche les gaz un peu brusquement, mais semble-t-il moins qu’avant.
Les derniers kilomètres avant l’arrivée dans le second hébergement se font sur des routes riches en virages, d’abord relativement larges, puis très étroite et au revêtement très endommagé. Là encore, la V2 se montre intuitive et facile, et son moteur riche en couple, placé cette fois-ci dans le mode de pilotage Sport, se révèle très vif, avec une injection bien conçue qui fait qu’il n’y a pas d’à-coups à la remise des gaz, ni lorsqu’on lâche d’un coup la poignée d’accélération.
Et là encore aussi, les suspensions sophistiquées contribuent passablement à cette facilité de conduite. Sur les derniers kilomètres, la pluie, qui se faisait de plus en plus menaçante, se met à tomber à grosses gouttes. Sans pour autant qu’il s’agisse d’un déluge. Le pare-brise et les épaules larges de la moto offrent une protection acceptable contre ce genre d’intempérie. Pas besoin pour l’heure de sortir la combi de pluie. Et puis l’hôtel, baptisé Podere l’Agave, qui est un hébergement bio et semble-t-il une ancienne unité agricole, n’est plus très loin, à San Vincenzo. On peut encore constater que les freins sont efficaces sous la pluie, et l’on arrive au paddock pour la nuit. Les Multistrada vont se ranger pour la nuit. Mais pas nous, car nous sortons en car en direction de la Cantina Petra, un des grands producteurs de vin de la région, dont les caves s’étendent sur des centaines et des centaines de mètres sous terre, dans un édifice emblématique dessiné par le célèbre architecte tessinois Mario Botta. L’endroit vaut assurément le détour.
La deuxième journée nous ramène au nord, avec pour destination finale notre premier hébergement. Après un bout tout droit, nous bifurquons enfin vers l’intérieur des terres, le long d’une route toujours rectiligne, mais au cadre magnifique: une double rangée de cyprès majestueux, de chaque côté de la chaussée. L’occasion de faire de nouvelles photos dynamiques. Avant d’aller prendre un café sur une petite terrasse dans le petit village de Bolgheri, surtout connu, lui aussi, pour ses vins.
La suite de la journée sera passée à « jouer » avec les différents réglages électroniques de la nouvelle Multistrada V2. En particulier les suspensions, que l’on va assouplir encore dans les modes « Urban » et « Enduro », et rigidifier dans le mode « Sport ». On sent la différence, au niveau du confort pour les deux premiers modes cités, et au niveau de la rigueur directionnelle pour le troisième, que l’on choisit quand le rythme devient endiablé. La roue arrière ne glissera qu’une seule fois, en milieu de virage, sur des feuilles d’arbres mouillées. Et la Ducati s’est rattrapée avec brio. La roue avant, elle, s’est permis une seule incartade, sur une grosse cassure avalée plein angle, mais cela n’a pas suffi à briser la trajectoire, sans même parler de faire tomber moto et pilote.
Les Scorpion Trail d’origine se sont en effet montrés efficaces même dans des conditions froides et humides, sur des asphaltes glissants, car ils deviennent vite suffisamment chauds pour assurer une adhérence correcte.
Au passage, on se prend aussi à essayer le tempomat ajustable, qui fonctionne à partir du troisième rapport de vitesses et qui est bien réglé, merci. Et l’on peut aussi choisir des modes d’affichage différents. Si l’on veut par exemple avoir l’indication du régime moteur dans le mode Urban. On signale la présence, dans le mode de pilotage Enduro, d’un « Tripmaster ». Un compte-kilomètres que l’on peut interrompre, reculer ou avancer. Comme ce qu’on utilise dans des rallyes!
Et en parlant d’enduro, nous avons pu nous essayer à un nouveau trajet hors du bitume, en commençant par traverser un ruisseau. Rien de spécial à signaler, la moto est rassurante dans ce genre d’exercice, la commande des gaz et l’embrayage sont bien dosables et fluides, les suspensions efficaces et les freins progressifs. Et le centre de gravité n’est pas placé trop haut.
Cette piste nous mène dans un autre lieu magique, le « Teatro del Silenzio », sur la commune de Lajatico. Qui est aussi la commune de résidence du célèbre ténor italien Andrea Boccelli! Le Teatro est un amphithéatre en plein air, qui surplombe plusieurs vallées basses de douces collines, et qui est orné de plusieurs sculptures métalliques. L’acoustique y est excellente.
Cette pause contemplative permet de partager encore quelques appréciations sur les composants de la moto et leurs fonctionnalités. Les deux leviers de frein et d’embrayage sont à écartement ajustable. Mais cette opération est quasiment impossible en roulant, car les molettes prévues pour cela se trouvent devant les leviers, sont de petite taille et touchent presque les protège-mains. D’autres marques font mieux sur ce point.
On attribue un bon point à la présence de série d’une prise 12V à l ‘avant. Il faudra un adaptateur pour recharger son smartphone, mais on en trouve facilement sur le marché. Y compris dans le catalogue des accessoires Ducati!
Encore quelques dizaines de kilomètres, puis la route de terre qui mène à la Villa Lena nous attend, cette fois-ci à la montée. Lors de tout ce périple, la nouvelle Multistrada a eu besoin, selon les indications de son tableau de bord, de 5,1 litres d’essence par 100 km. Et nos valises ont transporté bien à l’abri toutes nos affaires. On peut glisser dans ces valises au moins un casque intégral, du côté gauche. A droite, le pot d’échappement rogne un tantinet (mais pas beaucoup) l’espace.
Cette moto est une alternative valable à la grande Multistrada, et à d’autres voyageuses polyvalentes, si l’on apprécie les gros moteurs V2. Celui qui propulse nos motos de test n’est pas exempt de vibrations que certains peuvent juger gênantes, surtout entre 4000 et 5000 tr/min. En dessous, c’est plus du massage relaxant, et en dessus on n’a plus vraiment le loisir de faire attention, car on est concentré sur le prochain repère de freinage!
A 18190 francs, la Multistrada V2 S (la version standard est annoncé à 15690 francs, uniquement en rouge) n’est pas bon marché. Mais le niveau d’équipement est très complet. Il y a même des phares de virage, une aide au démarrage en côte, des clignotants qui s’éteignent tout seuls (on peut désactiver si on n’aime pas) et des commodos éclairés la nuit. Et tant le confort que la sportivité sont bien présents. La V2 est aussi très polyvalente, capable de presque tout faire de manière compétente. On a le choix pour la S entre deux coloris, le rouge, celui de nos motos de test, ou un gris sombre orné d’accents rouges, qui ajoute 400 francs à l’addition.
Le pack Travel, disponible dès l’usine sur la V2 S, coûte 1240 francs de plus. On peut aussi obtenir ses composants, de manière individuelle, et après coup, pour la V2 de base. La liste des accessoires est déjà longue, et elle inclut entre autres des roues à rayons, pour les excursions prolongées dans le terrain, qui sont plus légères que les modèles précédemment disponibles pour la 950.
Pour plus d’infos, vous pouvez consulter le site suisse de Ducati, ou vous adresser à nos partenaires de l’Annuaire suisse des professionnels de la moto, Ducati Genève (à Carouge) et Red Zone Motos, à Echandens (VD).