Roland Freymond, mon père ce héros, épisode 2

Publié le 20 avril 2020 par Claude Bovey, mis à jour le 11 janvier 2023.

Photos: Maurice Büla.

Histoires de champions

Roland Freymond, mon père ce héros, épisode 2

Il a été un des meilleurs pilotes suisses de tous les temps lorsqu’il militait dans le «Continental Circus». Voici le deuxième volet d’un récit-interview relatant sa carrière, concocté par son fils Yannick. Ce 2ème épisode nous fait revivre en détails croustillants (parfois) et émouvants (souvent) la première course de la saison 1977 (sa première saison complète en championnat du monde), disputée au Venezuela. Fabuleuse période où les courses étaient vécues d’une manière totalement différentes de celles d’aujourd’hui. Une époque où les pilotes n’aspiraient qu’à la quête incessante de faire mieux. Et ça les rendait heureux et vivants, vraiment vivants…

Voici la suite du témoignage admiratif d’un fils à son père champion de moto (lire l’épisode 1). Yannick Freymond avait terminé son premier récit lorsque à ses débuts en mondial, Roland Freymond passait Agostini et Sheene dans les parties techniques! Il se disait alors « être dans le juste »!

Le monde des courses motos est devenu avec le temps un spectacle savamment orchestré et mis en scène par des spécialistes de l’image et de la narration. Le MotoGP en est le meilleur exemple, un vrai produit marketing, complètement dématérialisé et virtuel pendant cette crise du Corona, où les pilotes se mettent quotidiennement en scène sur les réseaux sociaux partageant avec le public un monde merveilleux fait de strass et paillettes. Or la vie de pilote c’est bien plus que ça et c’est rempli d’un tas d’anecdotes qui, aujourd’hui, peuvent sembler complètement folles ou irréelles.

Freymond
En 1977 sur sa Yamaha-Egli à Silverstone.

La première course de 1977 au Venezuela

Pour ce deuxième volet de l’histoire de son papa, son choix s’est porté sur la première course de la saison 1977 (sa première saison complète en championnat du monde). Un grand-prix qui se disputait alors au Venezuela. Pas rien comme premier voyage pour un enfant du Gros-de-Vaud, vous en conviendrez.

Autre époque, autre décor. Pas de présentation en grandes pompes de la nouvelle équipe devant les représentants de la presse et des médias, pas de tests hivernaux et pas de sponsors à la recherche du bon filon marketing.

Voyage financé en partie par un bal de la jeunesse

Afin de pouvoir financer une partie de la saison et notamment ce fameux voyage au Venezuela, c’est la jeunesse du village qui décide d’organiser un bal et de remettre la totalité des bénéfices à Roland pour qu’il vive son rêve jusqu’au bout, belle réussite pour ce crowdfunding de l’époque!

Une fois les détails financiers et administratifs réglés, il ne manquait plus qu’à trouver une moto et ce sera le mage des châssis (Fritz Egli) qui mettra à disposition la partie-cycle pour toute la saison alors que le moteur de 350 cm3 sera acheté chez Hostettler, alors déjà importateur, avec un kit composé d’échappements, d’un compte-tours et d’un allumage.

«La moto devait être amenée à l’aéroport de Malpensa le 10 mars à 10 heures pour être ensuite acheminée au Venezuela. La veille, je devais me rendre chez Fritz Egli qui venait de recevoir le châssis du chromage pour finir de l’assembler, de mettre en place le moteur, les échappements et pour que ça ressemble enfin à une moto. A 22h, le mécano de Fritz jette l’éponge et rentre chez lui. A minuit enfin, je peux m’asseoir pour la première fois sur la moto. Il me reste alors plus que 10 heures pour finir de tout remballer, appeler mon père resté à la maison pour construire la caisse de transport et qui attend toujours les mesures, charger et partir pour être à Malpensa à 10 heures. Fritz me lance alors «le ressort de l’amortisseur est trop dur pour toi, il va falloir que je le scie». Tatata Fritz, rien de tout ça, on ne change plus rien, je dois y aller! J’arrive enfin à la maison à 3 heures du matin où m’attend mon père qui a construit la caisse pendant la nuit».

A 7 heures, après avoir descendu un dernier café pour la route, Roland se met seul en route au volant de son Fiat 642N direction Malpensa. Arrivé au Saint-Bernard, les douaniers lui indiquent qu’il faut qu’il fasse demi-tour. Un transporteur hollandais s’est endormi au volant de son camion côté italien et une partie de la galerie s’est effondrée, seules les voitures de tourisme arrivent encore à passer et donc son camion est trop haut. Impossible! Roland demande alors aux douaniers de l’aider à débâcher et de tenter le coup comme ça!

Assis à côté de Ballington

L’audace paiera et c’est avec un peu de retard qu’il arrivera à Malpensa mais à temps pour charger la moto sur l’avion et s’envoler direction Caracas. L’aventure, la vraie, peut enfin commencer.  Il prend place dans l’avion à côté de son pote qui s’est offert le billet d’avion pour l’accompagner et d’un type avec une moustache et des lunettes avec un air d’intello.

Mon père ne le sait pas à ce moment-là, mais il est assis à côté de Kork Ballington, pilote chevronné du Continental Circus. Quelle insouciante naïveté…

«Le vol s’est bien passé et on est arrivé à Caracas le dimanche après-midi. Ce week-end-là, se déroulaient également les mythiques 200 miles de Daytona et on devait être rejoints par Tom Herron, Allan North, Penti Korhonen et Bob, le mécano de Coulon, qui arrivaient des USA pendant la nuit.

On était logé au 14ème étage d’un hôtel de la ville et la vente d’alcool était interdite le dimanche au Venezuela. Je m’étais acheté une bouteille de whiskey à l’aéroport qu’on devait déguster avec Bob qui avait pris l’initiative d’inviter tout ce beau monde dans ma chambre.

Sitôt arrivés dans la chambre, Korhonen et Tom Herron ont saisi mon téléphone pour le balancer gratuitement sur un bus par la fenêtre, pris la bouteille et sont partis sans demander leur reste.

Le lendemain matin, je me fais interpeller devant la réception. A l’extérieur, une voiture de police. Le réceptionniste me montre alors la pastille du téléphone avec mon numéro de chambre dessus. Coût de la petite blague 300 balles que je n’avais bien sûr pas. Tom Herron se chargera de payer la note de mon téléphone cassé et deux autres venus s’ajouter plus tard dans la nuit.

Au même moment, au siège de la fédération moto vénézuélienne, une lettre était en préparation pour dénoncer mon comportement à la FMS. Heureusement, mon ami Philippe Coulon qui passait par là pour se plaindre de ne pas avoir reçu sa moto, mettra la main dessus et cette lettre ne verra jamais les bureaux de la FMS.»

Freymond
Dans le paddock de Brno en 1977.

Enfin la course!

Le week-end de course arrive enfin. Les pilotes sont transportés en bus direction le circuit de San Juan situé à 250 km de Caracas. Les pilotes seront tous logés dans des petits hôtels proches du circuit, la chaleur y est étouffante et les chambres sont miteuses. Roland décide alors de se préparer pour affronter cette première course, part en repérage pour ses footing matinaux et commence sa routine de weekend de course. Les choses se passent plutôt bien dès la première séance. N’oublions pas qu’aucun essai hivernal n’a été fait et que la moto est née quelques jours plus tôt seulement.

Footing, coup de feu et serpent!

«Je suis à l’aise dès le début et occupe la cinquième ou sixième place de la première séance. Le samedi après-midi, aux essais, je chute, rien de bien méchant jusqu’à ce que je me relève. Et là, j’entends un bruit sourd. Un coup de feu!

Un militaire posté un peu plus loin venait de tirer dans ma direction! Pas pour me tirer dessus heureusement, mais pour descendre un serpent à quelques mètre de moi! J’ai donc décidé d’arrêter mes petits footings matinaux autour du circuit.

Les conditions de course s’annonçaient torrides. Le dimanche, à 11 heures, la température de l’air était déjà de 35°, l’asphalte était à 55° et un taux d’humidité qui flirtait avec les 100%.

Aucun moyen de trouver un peu de fraicheur dans les box dont le toit était fait en tôle ondulée. Je me suis alors souvenu d’une combine de Jack Finley dans le film Continental Circus. Dans ces conditions, il enfilait entre le dos et la combi un sac rempli de glace pilée.

Malheureusement impossible à trouver dans le circuit, sauf pour Mermoud! Un gars du bled parti s’exiler quelques mois plus tôt au Venezuela qui, avec son réseau sur place, m’aidera à trouver cette précieuse poche de glace! On dit que le monde est petit, c’est encore plus vrai quand deux enfants de Poliez se rencontrent à l’autre bout du globe!

Contraint à l’abandon

La course se déroule plutôt bien. Je suis dans le rythme dès le début et me bats pour la 5ème place. Aux deux-tiers de la course, un tuyau d’essence qui pisse va malheureusement me contraindre à l’abandon. Je suis bien sûr frustré, j’aurais pu marquer des bons points dès le début mais la vitesse est là et la performance reste encourageante »

Le retour à Caracas se fera en voiture, Roland est accompagné par deux de ses amis dont Bernard «Boule» Gudit, qui vient de nous quitter, emporté par le Corona. Le pilote devait loger brièvement dans un aéroport proche de l’aéroport (bizarrement les pilotes étaient devenus persona non grata dans l’autre hôtel) en attendant leur vol de nuit qui devait les ramener au pays.

«En attendant le départ, on se prélasse au bord de la piscine. Allongé à côté de Tom Herron et Bob (si si, les mêmes qu’avant), on décide alors d’attraper le garçon de café élégamment vêtu avec son nœud papillon et son beau costume, pour lui proposer, un petit plongeon rafraichissant dans la piscine. Tout le monde rit autour de nous, il faut avouer que la blague est bonne, sauf pour le fier serveur.

Les portes d’accès à la piscine sont alors fermées en attendant l’arrivée de la police. Trois flics arrivent, un surveille l’accès pistolet au poing histoire de refroidir immédiatement toute velléité de fuite et les deux autres se séparent pour venir nous cueillir de l’autre côté de la piscine. Je me lève et décide gentiment d’obtempérer. En même temps, je suis en caleçon de bain donc pas franchement de quoi faire le malin. Ils s’en prennent alors à Tom Herron qui en bon Irlandais refuse catégoriquement de collaborer.

Passé par la case prison!

La machette s’avère alors un moyen de dissuasion efficace, puisqu’après un coup violent porté à plat sur le bras de Herron, il décide d’enfiler son jeans et accepte de se livrer à la police. On sera finalement trois, puisque le malheureux Bob qui pour le coup n’avait rien fait dans cette histoire sera aussi de la partie. Direction la prison de la Guerra.

Cet endroit concentre tout ce que Caracas a de plus redoutable en terme de criminels, pas idéal en conviendrez-vous pour finir un séjour au Vénézuela. Arrivés à l’accueil de la prison, ils nous font vider les poches. Tom Herron, qui gérait l’argent de 4 pilotes, avait dans son jeans une monstre liasse de dollars qu’il a dû sortir à la vue de tous.

Risqué quand on sait que les gars derrière les barreaux juste derrière nous ont tué pour 100 dollars.  On nous fait ensuite patienter dans le couloir, en face des cellules où s’entassent des criminels en attente de jugement. Le temps semble alors une éternité et je me demande si je vais bien pouvoir rentrer à la maison. Finalement, c’est Barry Sheene et Kork Ballignton, l’autre type à lunettes qui était assis à côté de moi dans l’avion qui paieront la caution. On n’a pas demandé notre reste et on est parti par le chemin le plus court, direction l’aéroport.»

Plus de 40 ans après, papa raconte cet épisode avec toujours cette même lueur dans les yeux.

Freymond
Toujours sur le circuit de Silverstone en 1977.

Une belle amitié est née

«La suite de la saison a été plus calme. Nous ne sommes plus retournés en prison. Par contre, ça a été le début d’une belle amitié. Tom Herron, qui se battait pour le titre cette année-là, n’a jamais hésité à m’offrir son aspi en qualif pour que je puisse être plus rapide.

Entre pilotes, il n’y avait pas de coups tordus, les relations étaient sincères et vraies. On courrait parce qu’on le voulait et parce qu’on avait cette étincelle en nous. On ne devait rendre de compte à personne, pas d’usine ou de sponsors et on n’avait pas peur des conséquences.

Il fallait toujours qu’on repousse les limites, tant mentales que physiques. Chaque trajet se transformait en course contre la monte, on devait toujours aller plus vite. Ce n’était pas de la folie, juste une quête incessante de faire mieux, ça nous rendait heureux et vivants, vraiment vivants».

Texte: Yannick Freymond

Commentaires2 commentaires

2 commentaires

  • Jonzier

    Sans être dans le style d’un vieux combattant, comme me l’a soufflé Jean-François Baldé, on ne doit pas dire c’était mieux avant. Juste c’était bien avant. Mais je dirais Super bien avant. Une époque bénie des Dieux.

    • Jérôme Ducret

      On s’en souviendra!

      Amical salut

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