La Superleggera V4, ou l’insoutenable légèreté de l’être

Publié le 22 juillet 2020 par Jérôme Ducret, mis à jour le 17 novembre 2020.

Photos: Milagro.

Test Ducati

La Superleggera V4, ou l’insoutenable légèreté de l’être

Notre collègue rédacteur en chef du magazine frère Töff alémanique Daniele Carrozza était l’un des seuls huit journalistes conviés à un essai de la diva Ducati, dont seulement 500 exemplaires seront construits et vendus à travers le monde. L’essai de cette « super-légère » pesant moins de 160 kilos à sec, délivrant 234 chevaux et coûtant plus de 100000 francs, s’est déroulé dans le cadre exceptionnel du circuit du Mugello, en Italie.

Honnêtement, j’étais mi-figue, mi-raisin lorsque Ducati m’a invité avec assez peu de marge pour réfléchir à participer à un test très exclusif (il n’y avait que huit journalistes sur la liste) de la Superleggera V4 au Mugello. Une raison pour cela, c’est bien évidemment les 234 chevaux de la version Racing que nous devions rouler, avec un prix astronomique de 105000 francs et une production limitée à seulement 500 unités (lire notre présentation); celui ou celle qui se paie la honte de jeter un tel joyau dans le bac à gravier se ferait certainement qualifier de persona non grata à vie chez les rouges à Bologne. Et l’autre raison, c’est le fait que ce test sur circuit ait lieu en Italie, l’un des pays les plus touchés par la pandémie de nouveau coronavirus. Mais Ducati, qui est l’un des constructeurs qui a le plus souffert (et souffre encore) des conséquences de cette pandémie, a fait un premier pas courageux vers une sorte de normalité. Et nous ne pouvions qu’honorer cela en disant oui. J’ai donc sauté en voiture pour six heures d’autoroute – avec une étape au Tessin – en direction du sud.

Légère jusque dans ses dernières vis

Les marshals postés au portail d’entrée du circuit connaissent la plaque de ma voiture d’entreprise et mon nom – tout a dû être communiqué par Ducati en temps voulu. Je dois en plus passer par un arceau où l’on mesure ma température corporelle, ce qui se fait sans contact par des capteurs infra-rouge. Depuis ici, le port du masque est obligatoire, dans tous les espaces clos, dans les box et dans le pitlane. J’ai participé à des centaines de présentations presse ces 20 dernières années, et il y a beaucoup en commun, mais aussi un certain nombre de choses complètement différentes aujourd’hui, et pas toutes agréables. Mais concentrons-nous sur la moto. Superleggera signifie quelque chose comme super légère, et Ducati en a déjà produit une, en 2016, à partir de la 1299 Panigale au moteur V2 Superquadro. Là aussi, à seulement 500 exemplaires. Il est donc logique qu’après le lancement de la V4 standard et de la version S (en 2018, avec 1103 cm3 et 214 ch), puis de la R homologuée pour la compétition en Superbike (en 2019, avec 998 cm3 et 221 ch), arrive à présent une Panigale V4 rendue la plus légère possible.

la Superleggera
La Superleggera V4 se base techniquement sur la Panigale V4 R.

L’objectif était de construire une machine de course exclusive qui soit cependant aussi accessible et fiable qu’une sportive homologuée pour la route. Techniquement, la Superleggera V4 se base sur le modèle R, mais elle délivre 3 chevaux de plus (224), grâce notamment à une ligne d’échappement Akrapovic entièrement en titane, à des arbres à cames encore plus légers et à des filtres à air de compétition adjoints à son V4 de 998 cm3 tourné de 42 degrés vers l’arrière, et pèse bien 13 kilos de moins (159).

Pour atteindre ce chiffre, il a été fait usage d’une quantité libérale de la meilleure fibre de carbone dans le châssis et un peu partout sur les carénages. Le cadre antérieur et le monobras oscillant sont faits d’un mélange de carbone et d’éléments en aluminium laminé. Cela a aussi permis aux ingénieurs de Ducati d’obtenir des valeurs bien précises de rigidités longitudinales et torsionnelles; par rapport à la R, on constate une baisse de 20% dans les éléments du cadre. Pour le bras oscillant, on arrive à 10, respectivement 14 pourcent. Et rien que dans ces deux pièces, la diminution de poids est déjà de 2,1 kilos en comparaison avec la V4 standard. Mais la part du lion est obtenue avec les roues en carbones BST et leurs moyeux en alu: -3,4 kilos. La boucle arrière en fibres de carbone en enlève encore 1,2, et le pot d’échappement homologué en titane bien 2,5. L’amortisseur arrière Öhlins TTX36 est lui aussi de construction légère, avec un ressort en titane et des valves de type GP (-0,6 kg); en tenant compte du plateau de chaîne en alu, d’une chaîne racing de Regina et d’écrous en titane sur la roue arrière, le poids baisse encore de 1,4 kilos.

moteur
Notre machine de test était équipée du kit racing, avec notamment la ligne d’échappement en titane. Ce kit est compris dans le prix de la Superleggera V4. Notez le couvre-embrayage (embrayage à sec) en carbone et ouvert.

Et il y a toute une série de petites pièces qui ont été optimisées pour avoir le moins de poids possible, comme par exemple le levier d’embrayage en alu fraisé, les repose-pieds et le reste des leviers construits de ma nièce similaire, la base de la selle en carbone, le sélecteur avec des trous et diverses vis et écrous en titane et en aluminium. Si l’on compte la ligne d’échappement racing Akrapovic en titane, comprise dans le prix, on peut encore enlever 6,8 kilos (!). Cela donne un poids à sec incroyable de 152,2 kg. Avec l’essence et les autre liquides, la Superleggera arrive à un poids en ordre de marche en configuration racing d’exactement 173 kilos. Une pure folie! 

Des ailes pour rester au sol

La plus évidente particularité de la Superleggera est certainement son empennage aérodynamique biplane, hautement technologique et dérivé directement du prototype Ducati de MotoGP. Les ailettes de la Superleggera, ensemble avec le large carénage avant, offrent des prestations qui dépassent même celles de la Desmosedici GP19. Tout simplement parce que lors de la conception de la Superleggera, qui doit être homologable pour la route, il n’a pas fallu se conformer aux règlements stricts du championnat MotoGP ni à ceux tout aussi stricts du mondial Superbike.

ailettes
Les ailettes aérodynamiques de la Superleggera V4 sont les mêmes (mais en carbone) que celles de la Panigale V4 R. Elles génèrent une poussée vers le bas augmentant avec la vitesse.

Et si vous voulez quelques chiffres, en voici. A 200 km/h, l’ensemble aérodynamique de la Superleggera génère une poussée vers le sol de 27 kilos, alors qu’à 270 km/h, la force est presque le double, soit 50 kilos. Pour bien comprendre ce que cela veut dire, sachez que la Panigale V4 standard, à 200 et quelque km/h, peut déjà compter sur 30 kilos. Et pour continuer avec des chiffres, on apprend qu’il n’y a que 15 unités de la Superleggera prévues pour le marché suisse, et qu’à l’heure où ces lignes ont été écrites en allemand, cinq ont déjà été vendues.

soufflerie
Une partie du travail de mise au point aérodynamique a été effectuée en soufflerie.

Une Panigale V4R pour se faire la main!

Le fait que j’aie dû partir au milieu de la nuit pour arriver à l’heure demandée au Mugello ne m’aide pas vraiment à aborder l’essai d’aujourd’hui dans de bonnes conditions. Et que je sois le premier à devoir prendre la piste, non plus! Mais même si je ne nie pas le côté agréable des températures déjà estivales et d’une météo splendide, dans ce qui est l’un des plus beaux circuits au monde, et devant une des motos les plus belles qui soient, je ne suis pas ici pour prendre des vacances ni pour faire un brin de causette. Alors c’est parti! Pour m’échauffer, j’ai à disposition le déjà passablement exclusif modèle R. Ce qui veut dire un kit racing Akrapovic, la totalité des 234 chevaux, le mode de pilotage Race, un réglage pointu des assistances électroniques, des slicks Pirelli Diablo Superbike SC1 déjà bien chauds, et le légendaire ruban d’asphalte de 5,2 kilomètres enchâssé dans les bosquets d’oliviers toscan, rien que pour moi. Je me pince, mais ce n’est pas un rêve! Je sors du pitlane, je me mets en mode racing et je sors de mes archives mentales les points de freinage, de changement de direction et d’accélération du circuit. Et bientôt les cinq tours sont passés. «C’est une chance que je connaisse bien le Mugello», pensé-je en traversant l’allée des boxs. Je confie la moto à Leo, «mon» technicien, et je m’éclipse pour 15 minutes dans le box afin de me préparer mentalement au huit tirs qui vont suivre cette courte pause et ma reprise de souffle, au guidon cette fois-ci de la Superleggera. 

Ducati Superleggera V4 technique
La Superleggera V4 sans son carénage.

Les huit tours de piste de vérité avec la Superleggera V4

«Ca y est, Daniele, c’est à toi!» me prévient Giulio, responsable des contacts avec la presse internationale chez Ducati. Je ferme ma visière, sors d’un pas décidé du box et grimpe en selle de la Superleggera V4 qui inspire déjà le respect par le grondement sortant de son échappement Akrapovic ouvert en titane et qui est tenue droite à l’avant par Leo. Ici aussi, c’est le kit racing avec 234 chevaux! On tire le levier d’embrayage en écoutant les beaux bruits du système à sec STM EVO de Superbike avec ses huit disques, on donne un coup de démarreur, et on y va donc. Leo me donne une poussée supplémentaire, car la première est longue. En comparaison des cinq rondes de test de 15 à 20 minutes que l’on trouve d’habitude dans les présentations Ducati, huit tours de circuit ne sont pas grand-chose.

Alors j’ouvre tout de suite les gaz. Et San Donato, le premier virage, se présente très vite devant moi. Je veux changer de direction … et wouaou! la Superleggera plonge avec la même grâce qu’en son temps Dino Zoff, le légendaire gardien des Azzuri au moment du tir des onze mètres. Et alors que je devais indiquer à la R, même de manière très fine, qui était le maître, ici la Superleggera semble savoir d’elle-même où je veux aller. Il est tellement facile de lui faire changer d’inclinaison, et elle le fait avec une telle bonne grâce et une telle transparence! Au bout de deux tours je me suis familiarisé avec la machine, et refamiliarisé avec la piste, et je suis passé du mode de pilotage «Race B», qui réduit le couple disponible dans  les deux premiers rapports, au mode «Race A», qui ne restreint plus rien.

la Superleggera
Le feedback offert par cette machine est juste un cran au-dessus.

Me voici concentré, à la recherche de vitesse dans les «Bucine», le virage juste avant la ligne droite et le finish, abordé plein angle. Je suis en deuxième, j’effleure les vibreurs en sortie de courbe, plein gaz, en légère montée. La manière dont la Superleggera se laisse diriger ici au millimètre près avec l’accélération maximale, la facilité avec laquelle on peut le faire, sont proprement incroyables, tout comme la poussée que l’on arrive à générer à travers les Bucine et la vitesse avec laquelle on peut attaquer la ligne droite de départ et d’arrivée. Le troisième rapport est déjà là, puis le quatrième, le cinquième, le sixième… le quickshifter fait un sans-faute absolu, le large carénage frontal et la bulle haute m’offrent une protection du casque et des épaules sans pareille jusqu’ici sur une machine de série.

Le premier verdict de ce test arrive en fait au point clé de cette longue ligne droite, là où l’on doit tirer à droite à l’aveugle pour passer San Donato, après que la Superleggera a atteint les 300 km/h sans effort. Ici, les motos passent rapidement de la vitesse maximale à un freinage lui aussi maximal et le train avant proteste la plupart du temps. Mais ce n’est pas du tout le cas de la Ducati. Comme menée par un auto-pilote, elle garde le cap sans broncher en passant le sommet arrondi et fait preuve d’une stabilité au freinage – à un endroit des plus durs pour le freinage dans le calendrier MotoGP – telle que je n’en ai encore jamais éprouvée. Et on pouvait bien avoir des doutes sur l’efficacité des ailettes, mais l’ensemble aérodynamique de la Superleggera, avec ses ailettes biplanes, m’a convaincu, pour la vie! Il est bien sûr aidé par les très efficaces Brembo Stylema R, qui sont actionnés par une pompe radiale MCS19.21 avec ajustage à distance. La marque italienne n’a pas grand chose à offrir de mieux pour ce qui est de la dosabilité, de la force de freinage et du feeling.

exclusive
La Superleggera V4 est plus « flexible » que son homologue V4 R au niveau du cadre et du bras oscillant. Ou du moins elle est encore un peu mieux adaptée au Mugello.

Quelques virages plus loin arrive le deuxième défi, à savoir la sortie de la courbe à droite rapide dite «Borgo San Lorenzo». Ici, en redressant la moto, on ouvre les gaz à fond. Et alors que la R se tassait à l’arrière et qu’en même temps son train avant perdait quelques points en précision directionnelle et commençait à secouer, même si c’était de manière parfaitement contrôlable, la Superleggera (équipée elle aussi de slicks SC1) s’acquitte de ce passage avec juste une douce ondulation qui ne ralentit en rien la progression. C’est clair, on ressent ici les bénéfices de la plus grande flexibilité du cadre et du bras oscillant. Mais aussi le fait que le modèle R n’était pas aussi parfaitement ajusté pour le circuit du Mugello que ne l’était «ma» Superleggera. Le bras oscillant a en fait été légèrement rallongé grâce à un peu plus de poids sur l’avant, ce qui, de concert avec les ailettes, réduit de manière sensible les tendances au lever de roue avant.

Les limites repoussées

Le troisième moment-clé de ce test est lié au S rapide dit des «Biondetti». Je suis très curieux de voir de quelle agilité la Superleggera fera preuve dans cette combinaison gauche-droite d’anthologie. Sûrement, en raison de la poussée vers le bas qu’elles génèrent, les grandes surfaces «porteuses», utiles pour la stabilité, amènent avec elles une certaines inertie dans les changements de direction rapides… peut-être, mais certainement pas à cet endroit! La Superleggera se fraie une trajectoire coupée au scalpel dans ce passage, et elle se distingue, comme de fait partout ailleurs au Mugello, par un feedback cristallin, avec une précision et une légèreté qui semblent n’avoir aucun égal.

Et comme les Biondetti ont été passés avec une belle rapidité, j’arrive avec un bel excès de vitesse à l’entrée du virage des Bucine, avant la ligne droite d’arrivée. Je me vois déjà face à Rapisarda, le chef de la communication chez Ducati, qui jette ma carte de visite dans le broyeur à documents… Mais cela ne se passe pas ainsi; je tape dans les freins et je fais en sorte, avec une grosse pression sur le système de freinage et en descendant les rapports, que la Superleggera s’incline pour aller chercher le virage à gauche permettant d’entrer dans la grande ligne droite.

Et c’est comme si cette moto avait passé toute sa vie à faire ça! elle pointe du premier coup sur le point de corde, avec juste une petite correction de trajectoire due à l’anti-dribble, et donne un feedback toujours aussi cristallin alors que je me trouve dans le dernier quart du débattement des suspensions. Mieux, elle ne se redresse pas du tout et me donne l’impression de disposer d’encore pas mal de réserve! De quoi avoir un feeling fabuleux pour chaque virage, de quoi aussi booster sa confiance en soi. Mes remerciements vont bien sûr aussi à la fourche télescopique au gaz NPX25/30 d’Öhlins, qui exauce tous mes désirs, de même que l’amortisseur TTX-36.

fourche
La fourche télescopique Öhlins figure dans le top de ce qu’on peut désirer. De même pour le système de freinage, dont on voit ici l’ajusteur à distance, sur la partie gauche du guidon.

C’est ainsi que mes points de freinage se rapprochent toujours plus des points de corde, et que la Superleggera reçoit toujours plus tôt de ma part une commande énergique d’ouverture des gaz (commande qu’elle exécute avec une douceur exemplaire) et que les chronos baissent. Parce qu’il faut le dire, sur une Superleggera, tout est plus fin, plus raffiné, plus accompli, plus direct… en un mot transmis avec moins de filtres déformants. Et les 234 chevaux à disposition ont l’air moins véhéments à son bord, mais sont au final transmis de manière nettement plus efficace à l’asphalte. Etant ainsi «déchargé» du poids des responsabilités, parce que rien n’est aussi rapide qu’une moto qui ne vous tend pas, je trouve ici ou là le temps d’encore jeter un oeil au tableau de bord racing extrêmement lisible et intelligemment conçu, qui présente tous les paramètres utiles sur un écran TFT de 5 pouces. Après tout, il a été créé avec l’aide de Dovizioso, et qui mieux que lui peut savoir ce qui doit être affiché où et comment afin de garantir au pilote une vision d’ensemble même dans le feu de l’action!

la Superleggera
Même avec seulement huit tours de piste, on va de plus en plus vite.

Article écrit par Daniele Carrozza, traduction Jérôme Ducret

Article à paraître sous une autre forme dans le magazine Moto Sport Suisse
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